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jeudi 8 avril 2010

Théorie des crises et le problème de la constitution de G. Marramao

‘Théorie des crises et le problème de la constitution’ a été écrit par Giacomo Marramao en 1975 pour la revue Telos. Ce texte présente la polémique, au sein du mouvement communiste des conseils dans les années trente, à propos de l’interprétation à donner aux théories des crises du capitalisme en lien avec la constitution d’un mouvement révolutionnaire. A l’heure où la crise systémique déploie ses effets, il nous a paru opportun de traduire ce texte. Il nous semble pouvoir nourrir un débat forcément d’actualité, par ailleurs ouvert (ou poursuivi) par l’entremise de textes de Bruno Astarian ‘La communisation comme sortie de crise’ et 'C'est au présent qu'il faut parler de communisation' de Roland Simon sur Des nouvelles du front.


La question de la nature du rapport entre l’état du capitalisme et celui des classes, en particulier du prolétariat, est centrale pour toute théorie politique qui se veut pratique, a fortiori dans une perspective révolutionnaire. Cette polémique a animé le mouvement du communisme de conseils durant les années trente, sous la forme d’une discussion des théories des crises de Rosa Luxemburg et Henrik Grossman. D’un côté, Pannekoek et Korsh entendent rendre aux acteurs sociaux leur autonomie d’action contre l’objectivisme écrasant du ‘matérialisme historique’ orthodoxe livrant le monde au développement propre de l’économie. De l’autre, Mattick soutient que l’activité politique est en prise au contexte, et en particulier à son aspect économique, dans lequel peut émerger le mouvement révolutionnaire. Il trace, en s’appuyant sur Grossman, une voie de dépassement à la fois à l’objectivisme orthodoxe et au subjectivisme révolutionnaire.

Marramao conduit cette discussion en lien explicite avec l’éclosion du mouvement opéraïste italien, dont Panzieri est un des théoriciens fondateurs, au moment où il l’écrit. S’il souligne les limites de l’analyse de Mattick, il y entrevoit la possibilité de construire une compréhension au-delà des apories du matérialisme mécanique (les actions des hommes ne seraient que le jouet du développement automatique de l’économie) et du subjectivisme de la bonne volonté et de la bonne conscience. Il y a là une ligne de fuite à l’hypostase du politique ‘autonome’ auquel serait assujettit l’économique, où l’exploitation ne serait qu’une forme historique de l’oppression politique à laquelle s’opposerait un mouvement de démocratisation pluriséculaire. La mise en contexte évite cette fantasmagorie, et permet de lire les dispositifs de domination, y compris dans leur renouvellement, au service du rapport d’exploitation dans la spécificité historique du capitalisme.

En arrière-fond à cette opposition se pose la question des fondements, i.e. le soubassement de l’analyse de la nature du capitalisme, des classes et de leurs rapports. Vaste sujet que Marramao aborde indirectement - doublement, par ‘ricochet’ - à travers la grille de lecture de Marx proposée par Rosdolsky. Pour celui-ci il faut distinguer, dans la critique du capitalisme de Marx, la ‘nature logique’ mettant en jeu les catégories de la grammaire du capital (niveau morphologique) et son cours historique, sa réalisation concrète. L’analyse théorique des crises, et la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, n’est alors pas à saisir à un niveau simplement empirique mais en principe dynamique inhérent orientant les développements historiques du capitalisme – une nature propre au capitalisme.

Dans ce schéma d’analyse, l’opposition ontologique entre un ‘bon’ travail concret et un ‘méchant’ capital financier parasitaire ne tient plus. Le capitalisme est une mise en forme du concret à travers les relations que sont les catégories de la grammaire du capital. Cette approche invalide toute théorie postulant un extérieur déjà constitué à l’intérieur de la matrice. Le capitalisme tend à faire système, à se constituer en société hégémonique, et ses problèmes mettent en crise son ensemble. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la crise économique soit concomitante de crises théorique, anthropologique et politique.

Cependant, la ‘vocation’ totalitaire du système, son vouloir devenir Société, n’est pas pour autant pleinement réalisée. Pour cela il faudrait que les fétiches soient réellement substantiels, mais ils ne sont que des relations qui se présentent comme des choses pour occulter leur nature et ainsi opérer. Ils n’existent qu’en pratique et par les pratiques les instituant et les réactivant en permanence. Lorsque celles-ci entrent en crise, ils vacillent. Le champ du social et le domaine du sens ne sont pas clôt et débordent de l’hégémonie, d’autant plus lorsque celle-ci se fissure. Le désenchantement de la politique, mutations du rapport aux institutions de l’aristocratie élective et de l’encadrement syndical dans la production, dans les contrées du ‘nord’ l’illustre entre autres. Autrement dit, tout n’est pas encore spectacle et rien ne sert d’attendre religieusement le surgissement magique d’un être authentique des entrailles des Blooms. Le dépassement du capitalisme est élaboration pratique. En ceci, la crise nous rappelle au sens de la question de la constitution.



Théorie des crises et le problème de la constitution
Giacomo Marramao


[Publié initialement en anglais dans Telos n°26, hiver 1975-76]

1.
Que la théorie de la crise et de l'effondrement du système capitaliste soit héritée d’une déformation positiviste du ‘marxisme de la deuxième Internationale’, et qu'ainsi il implique idéologiquement de soutenir une politique réformiste, est une idée très répandue. Il y a dix ans, Raniero Panzieri écrivait : « C’est un fait, la pensée marxiste depuis Marx a reconnu un ‘tournant’ du système avec le développement du capitalisme de monopole et de l'impérialisme autour des années 1870 (qui nous apparaît aujourd'hui comme une période de transition par rapport au ‘tournant’ qui a commencé dans les années 30 et s’est à présent accompli). Mais la phase qui a suivie ce tournant a été immédiatement décrite et analysée selon un cadre et en termes de lois qu'une telle phase tend à surmonter. Ainsi, elle a été interprétée comme la ‘phase finale’. » (1) Et en note, il ajoute : « La mythologie du ‘stade ultime’ du capitalisme joue des fonctions idéologiques différentes, voire même opposées, entre Lénine et Kautsky : chez Lénine, elle ‘légitime’ la chute du système aux points les moins avancés de son développement ; chez Kautsky, c’est pour justifier l'ajournement réformiste de l'action révolutionnaire jusqu’au ‘moment opportun’. Depuis que la révolution de 1917 a échoué à se consolider avec des révolutions dans les pays plus avancés, elle s’est rabattue sur des objectifs immédiatement réalisables pour le niveau de développement de la Russie. Cette explication du ‘devrait être’ de la présence possible de relations sociales capitalistes dans la planification (un point faible demeurant dans tout le développement de la pensée léniniste) facilitera plus tard la répétition, que ce soit dans les usines ou dans la production sociale totale, des formes capitalistes derrière l'écran idéologique de l'identification du socialisme à la planification et la possibilité du ‘socialisme dans un seul pays’. » (2)

Ici, en plus de la Zusammenbruchstheorie [théorie de l’effondrement], Panzieri attaque la méthode transmise de la seconde à la troisième Internationale – c’est-à-dire, la conception optimiste du processus historique qui fait appel au développement automatique de la ‘phase finale’ du capitalisme. Il a cherché à réintroduire une perspective active, politique et révolutionnaire dans le discours marxiste contre un positivisme vulgaire qui considérait la crise mortelle du système comme un phénomène inévitable résultant simplement du développement quantitatif des forces productives. La polémique de Panzieri vise l'utilisation pragmatique, dans le mouvement ouvrier, de l'argument de ‘l’objectivité’ et du caractère ‘nécessaire’ des lois régissant le développement capitaliste. Cette utilisation pragmatique a tendu à éclipser la contradiction entre capital et travail, et à rendre secondaire l'urgence du développement du ‘contrôle ouvrier’ au sein du processus productif complet. Le désir de fournir une base théorique à ce projet a poussé Panzieri a creuser dans la critique marxienne de l'économie politique afin de tracer les lignes d'un développement analytique permettant de localiser sans ambiguïté la ‘loi du plan’ et la ‘loi de la valeur’. Du premier au troisième volume du Capital, le développement de l'argument de Marx coïncide avec le développement historique du capitalisme contemporain de son stade concurrentiel à sa phase monopolistique. Le ‘plan’ n'a pas été considéré comme un projet programmatique simple ou concret mais, plutôt, en tant que mode de fonctionnement du capital social sous la forme historiquement déterminée de son développement. Ainsi, afin d'éliminer tout résidu ‘naturaliste’ de la théorie du développement, il était nécessaire de démontrer le dépassement précédent de la dichotomie (encore présente chez Marx, particulièrement dans le premier volume du Capital) entre despotisme d'usine et anarchie de la société civile. Il était également nécessaire de prouver que la « dynamique du processus capitaliste est essentiellement dominée par la loi de la concentration » et, dépassant Marx, que l'étape la plus élevée du développement par lequel le capital devient ‘autonome’ n'est pas le capital financier mais le ‘capital planifié’. Selon les conclusions de Panzieri, toute trace des origines du processus capitaliste disparaît avec l'arrivée de la planification centralisée en raison de l'obsolescence d'un « mode de production ‘inconscient’ anarchique et lié, par la concurrence, à des activités incontrôlées » (3). A ce niveau, la cohésion croissante du système peut être vue en sa totalité comme complètement autonome par rapport aux agents de production. Au niveau social global, ce processus est caractérisé par la même rationalité despotique à l’oeuvre dans l'usine moderne - une rationalité qui se sert des immenses possibilités d'une utilisation capitaliste de la science et des technologies (4). Prenant un problème fondamental - dont Marx souligne la complexité dans les Grundrisse -, Panzieri conclu que les contradictions immanentes ont complètement perdu leur caractère naturaliste, typique de la période concurrentielle. « Il n'y a pas de ‘contradictions immanentes’ dans le mouvement des capitaux, ni ‘internes’ au capital : la seule limite au développement du capital n'est pas le capital lui-même mais la résistance de la classe ouvrière. »(5)
Nous verrons, plus tard, si et dans quelle mesure cette lecture de Marx peut réellement développer une théorie sociale complète de la révolution en supprimant le caractère ‘naturel’ du processus capitaliste. Pour le moment, nous sommes intéressés à montrer comment, au début des années 60 en Italie, un argument commun à une grande partie de la gauche communiste européenne des années 20 et 30 a été repris par une opposition militante dans le mouvement ouvrier : que l'action révolutionnaire ne devrait pas essayer de s'insérer dans les faiblesses présumées et ‘les contradictions internes’ du système, mais devrait se concentrer à activer la volonté autonome, ‘l’insubordination’ moderne de la classe ouvrière – viser exclusivement son organisabilité.

2.
Si nous analysons les documents des années 20 et 30 traitant ce problème, nous notons que l'équivalence de la Zusammenbruchstheorie avec la conception réformiste et opportuniste de la politique est basée sur une conception plutôt schématique et réductrice de l'histoire du marxisme et du mouvement ouvrier (6). L'exemple de Rosa Luxemburg peut nous aider à nous débarrasser de ce schéma. Même s’il a été affirmé que la conception Luxemburgienne du crash reflète des thèmes de la 2ème Internationale, la question du rapport entre sa théorie économique (déterminisme catastrophiste) et sa théorie politique (activisme spontanéiste) – ce qui, à première vue, semble paradoxal - reste toujours ouverte. Le problème est beaucoup plus complexe et imbriqué que ne l’indiquent les simplifications traditionnelles et commodes fournies par le marxisme européen ‘occidental’.

Dans un essai de 1933 concernant précisément ce problème, Korsch souligne déjà l'impossibilité de réduire les différents adversaires et défenseurs de la théorie de la crise à un même dénominateur commun politique. La Zusammenbruchstheorie a en fait été contestée avec des arguments étonnamment semblables par le fondateur du révisionnisme, Eduard Bernstein, et par le communiste de conseils, Anton Pannekoek ; tandis qu'il était soutenu par Rosa Luxemburg aussi bien que par ‘l’archi-réformiste’ Heinrich Cunow (7). Mais Korsch finit par donner une solution pour fonder toutes les positions de la théorie de la crise sur un dénominateur idéologique commun en établissant leur déterminisme et leur passivité, il les rejette en bloc comme simples reflets de la lutte des classes (8). Dans le contexte de la théorie de la crise, Korsch distingue deux attitudes correspondant à deux manières différentes de comprendre le mécanisme catastrophique du développement : l'attitude subjectiviste, correspondant à la version social-démocrate officielle typique des théoriciens tels que Hilferding, Bernstein, Lederer, Tarnow et Naphtali ; et l'attitude objectiviste, représentée par la théorie ‘classique’ du crash de Rosa Luxembourg, de Fritz Steinberg et de Henryk Grossmann. L'attitude subjectiviste soutient que la crise peut être surmontée par le système capitaliste, avec l'aide d'un cartel général (Generalkartell chez Hilferding) et au moyen de régulations des relations entre capital et travail. Selon Korsch, non seulement les sociaux-démocrates mais les Bolcheviques et les planificateurs économiques soviétiques sont également des théoriciens subjectivistes de la crise et se résument à la théorie de Hilferding. « Ce type de théorie des crises », écrit-il, « est typiquement un reflet idéologique des stades dépassés du mouvement réel de l'économie capitaliste, il s’oppose à la réalité présente, fruit d’une évolution, en étant une ‘théorie’ fixe et rigide. »(9) La conséquence pratique de ces théories est « la destruction complète de toutes les bases objectives du mouvement prolétaire de classe ». L'attitude objectiviste - que Korsch considère ne s’opposer qu’en apparence au subjectivisme - a été articulée sous sa ‘forme classique’ par Rosa Luxembourg dans l'Accumulation du capital. Cette théorie « ne peut pas vraiment être considérée comme matérialiste ni, dans son impact pratique, révolutionnaire, en raison de sa théorie de la crise. » La déformation ‘objectiviste’ de cette position ne peut pas être supprimée en affirmant, avec ses défenseurs, que le système actuel ne peut être renversé qu’au moyen de l'intervention active du prolétariat. « Une telle théorie… », écrit Korsch, « ne me semble pas capable de produire cette activité entièrement autonome et responsable de la part de la classe ouvrière luttant pour ses propres fins, élément nécessaire à la lutte de classe des ouvriers comme pour toute autre lutte. » (10)

Korsch oppose ‘l’attitude matérialiste’ aux deux autres : « Cette attitude considère sans signification pour une théorie pratique de révolution prolétaire tout le problème de la nécessité ou de l'inévitabilité objective des crises capitalistes lorsqu’il est posé en ces termes généraux. Cette attitude est parallèle à celle du critique révolutionnaire de Marx, Georges Sorel, qui ne reconnaît plus de valeur scientifique à la prévision de la catastrophe produite par l'insurrection de classe ouvrière - présentée par Marx dans une langue dialectique fortement corrompue par des éléments philosophiques idéalistes - en limitant à la valeur d'un ‘mythe’ la signification entière à laquelle est réduite la détermination de l'activité actuelle de la classe ouvrière. L'attitude matérialiste et Sorel, cependant, se séparent quand il essaye de limiter la fonction de toute théorie sociale de la révolution future à la création d'un tel mythe. En revanche, cette approche suggère que, par un examen empirique toujours plus méticuleux du mode actuel de la production capitaliste et de ses tendances de développements principales, on peut faire certaines prévisions qui, bien que limitées, sont suffisantes pour l'action pratique. » (11) Ainsi, afin de déterminer son action, le matérialiste doit explorer empiriquement la situation actuelle, le niveau de conscience, le niveau d'organisation et la disposition de la classe ouvrière envers la lutte. Les principes de base de cette « attitude fondamentalement matérialiste, tant théoriquement que pratiquement » ont été donnés dans leur formulation classique en 1894 par le jeune Lénine lors de sa polémique sur le subjectivisme populiste de Michailowski et l'objectivisme de Struve. Lénine opposait son propre « point de vue activiste matérialiste » à ces deux positions.

3.
Faisons une pause pour examiner les points saillants et les implications de cet intéressant travail de Korsch. Tout d'abord, nous devons questionner la signification de réduire toutes les positions théoriques de la social-démocratie allemande et de la deuxième Internationale (tant de l’aile droite que de la gauche) à des conceptions passives et neutres parce qu'elles se limitent à réfléchir sur les étapes écoulées du mouvement réel (représenté, pour Korsch, par des conflits de classes, des désaccords pratiques et politiques parmi les diverses tendances et courants dans le mouvement ouvrier). Considérer le moment particulier où Korsch écrit ces lignes peut être éclairant. Nous sommes en 1933, la période juste après la montée du fascisme en Allemagne. Le succès de la dictature national-socialiste n'a pas encore détruit les espoirs résiduels pour une insurrection des ouvriers. C'est pourquoi il est nécessaire d'effectuer toute la discussion théorique en termes d'une analyse du présent dans ses aspects les plus empiriques et particuliers, absolument pas déductibles d'une construction théorique générale et abstraite. Même l'appel au ‘mythe’ Sorélien et à la position ‘activiste matérialiste’ de Lénine (12) doit être compris dans cette perspective soumise à une contrainte d'urgence pour mobiliser les ouvriers pour la lutte contre le fascisme.

Mais bien que nécessaire, cette considération historique rigoureuse ne suffit pas. En fait, ce travail contient un motif contradictoire qui ne peut pas être résolu en se référant simplement aux exigences politiques du moment, puisqu’il est un dispositif constant du discours de Korsch que, en dépit de sa grande complexité et portée, il partage avec une grande partie de la gauche communiste et socialiste entre les deux guerres (13). Korsch semble saisir le besoin d'une interprétation politique et révolutionnaire de la ‘description scientifique’ du Capital, et lire ainsi la critique de l'économie politique en lien avec la théorie des classes et de la révolution. Mais, dans sa précipitation pour porter la discussion sans interruption sur les conditions « d'une théorie pratique de la révolution prolétaire », il finit par manquer une des dimensions cruciales du travail du Marx mûr. Précisément en faisant en sorte qu'il puisse d'une manière intransigeante rejeter toutes les théories de la crise, indépendamment de leurs bases méthodologiques et épistémologiques, en tant que constructions abstraites qui, comme telles, ne seraient que des reflets passifs du mouvement réel. Korsch évite ainsi le problème complexe de la ‘méthode d'exposition’ (14) quand, dans son urgence pour établir une analyse économique capable de fournir « une théorie pratique de la révolution » soutenue par une « attitude activiste matérialiste », il lit la méthode dialectique de présentation du Marx mûr comme une simple allégorie (15) censée encourager la volonté et l'esprit révolutionnaire du prolétariat (16). Ainsi, Korsch élimine la possibilité de discerner les différences fondamentales méthodologiques et épistémologiques des diverses théories de la crise, qui mettent en lumière leur fonction dans la vision générale du mouvement historique et le rapport entre théorie et pratique. En conséquence, Korsch ne voit pas que la théorie du crash de Luxemburg était différente de celle formulée par Kautsky - dans la préface de 1906 à la cinquième édition allemande du Socialisme : Utopique et scientifique d’Engels -, non seulement en raison d'une différence ‘d’attitude’ (qui est, en dernière analyse, une différence subjective), mais surtout en raison d'une valeur différente assignée à la fonction de la ‘description’ économique dans la théorie marxiste. Luxemburg n'a jamais conçu le modèle qu'elle décrit dans l'Accumulation du capital comme un pur et simple ‘reflet’ de l'évolution historique et empirique du mode de production capitaliste. Plutôt, et contre Kautsky, elle s’est toujours refusée d'attribuer le caractère d'objectivité fétichiste aux lois économiques. (17)

4.
Pour revenir à Korsch, il y a un autre point étonnant dans son exposé qui confirme indirectement les points faibles de son approche de la théorie de la crise : l'association de Fritz Steinberg et de Henryk Grossmann en tant « qu’épigones de la théorie de Luxemburg ». En fait, ces deux économistes étaient si loin d'être des épigones que, à l’apogée du problème de la crise en 1929, ils se sont engagés dans une des polémiques les plus dures et intéressantes sur l'impérialisme. Dans son vaste travail sur l'impérialisme (18), Steinberg a pris et intégré la révision partielle de Luxemburg de la théorie marxiste qui lie reproduction élargie et expansion dans les ‘aires non-capitalistes’ (19). Grossmann, de son côté, a maintenu que la tendance du système capitaliste à la crise et à ‘l'effondrement’ ne pouvait être expliquée que sur la base de la théorie marxiste de la valeur. « La loi de la valeur », écrit Grossmann dans son travail fondamental sur la loi de l'accumulation et l'effondrement du système capitaliste, « domine le processus économique entier du mécanisme capitaliste et, puisque ses tendances dynamiques et de développement ne peuvent pas être comprises excepté sur la base de cette loi, sa fin - l'effondrement - doit également être expliquée sur la base de la loi de la valeur. » (20) L'erreur de Luxemburg et Steinberg - qui les a amenés à une révision et à une ‘intégration’ du travail de Marx sur la reproduction élargie - est le résultat d'une prémisse incorrecte : dans l'Accumulation du capital de Luxemburg aussi bien que dans l'Impérialisme de Steinberg, la crise n'est pas expliquée en termes de production, mais en termes de marché. C'est pourquoi il est impossible de rassembler la continuité et le lien structurel entre le processus reproductif et les relations capital-travail d'une part, et la nécessité de présenter la valve de sécurité des ‘aires non-capitalistes’ (avec pour résultat une distorsion significative du problème marxiste de la production et de la reproduction en un problème de ‘réalisation’ de la plus-value). Par une réflexion systématique, cependant, Grossmann a réussi à poser la question en termes d'analyse des relations de production, au sein d’une dynamique où il cherche la tendance générale du développement du mode de production capitaliste (21). Basant son travail sur la double dimension de réalité déterminée et de généralité abstraite (en ce qui concerne le mouvement historique et empirique) de la loi de la valeur, il a réussi à la relier à la théorie de la crise au moyen de la loi de l'accumulation. « La grande signification du travail de Marx se situe précisément dans le fait qu'il peut expliquer tous les phénomènes du mode de production capitaliste sur la base de la loi de la valeur. » (22) « La théorie marxiste de l'effondrement est… une supposition nécessaire pour la compréhension de la théorie marxiste de la crise et elle est intimement liée à elle. La solution aux deux problèmes est dans la loi marxiste de l'accumulation, qui constitue l'idée centrale du Capital et celle-ci est à son tour fondée sur la loi de la valeur. » (23) Ainsi, loin d'être le travail ‘d'un épigone’, le livre de Grossmann effectue ‘un retour à Marx’ préfiguré par Luxemburg contre le révisionnisme réformiste de Bernstein et des ‘néo-harmonisateurs’ austro-marxistes (24), aussi bien que contre le pseudo-orthodoxe et scholastique positivisme de Kautsky. Ainsi, Grossmann a sauvé l'application politique de Rosa, la reformulant sur une ancienne base analytique et méthodologique. Sans surprise, c'est ce travail de Grossmann qui, au début des années trente (un an après l'article de Korsch discuté préalablement) a revivifié l’importante discussion dans le Linkskommunismus sur le lien entre théorie du crash et subjectivité révolutionnaire.

5.
Les protagonistes de la polémique, à travers les colonnes de Rätekorrespondenz, l'organe théorique des ‘communistes de conseils’, sont Anton Pannekoek et Paul Mattick. Dans sa contribution à la discussion, Pannekoek adresse à Grossmann une critique semblable à celle de Korsch, visant toute théorie de la crise, avec des éléments économiques importants mais avec moins de clarté. Partant de l’hypothèse que « la question de la nécessité et de l'inévitabilité de l'effondrement capitaliste, et de la manière dans laquelle ceci est compris, est, pour la classe ouvrière, pour sa compréhension et sa tactique, la plus importante de toutes les questions » (25), il fini par critiquer Grossmann d'une perspective fondamentalement externe (26). Le fond de la critique de Grossmann par Pannekoek est qu'il veut déduire la fin du capitalisme « d'un point de vue purement économique » (et ainsi concevoir le crash indépendamment de l'intervention humaine), et réduire la lutte des classes à une contestation ‘économiste’, c’est-à-dire, de la définir comme lutte pour des salaires et la réduction du temps de travail. Ainsi, il fini de liquider, plus complètement et radicalement que Korsch ne l’avait fait, toute la théorie du crash de Luxemburg à Grossmann, en enchaînant la théorie à un concept déterministe et ‘bourgeois’ de ‘nécessité historique’ (27). Cependant dans une analyse stricte, il s'avère que cette critique de l'économisme de Grossmann pourrait en même temps être adressée à Pannekoek puisque lui-même s’est attaché à un concept ‘bourgeois’ restreint des sciences économiques.

C'est précisément le point crucial de la critique de Mattick. Pannekoek, précise Mattick, n'a pas réussi à comprendre le caractère dialectique du développement de Grossmann, fondé sur une base méthodologique spécifiquement marxiste. La méthode par laquelle la critique de l'économie politique procède n'est pas de viser une description historique et empirique des processus réels, mais d’isoler abstraitement certains moments fondamentaux, afin de définir l'unité des lois du mouvement de la société capitaliste. « Pour Grossmann aussi », note Mattick, « aucun problème n’est purement économique. Cependant, cela ne l'empêche pas, dans son analyse de la loi de l'accumulation, de se limiter méthodologiquement à la définition de présuppositions purement économiques et d'atteindre ainsi théoriquement une limite objective du système. La compréhension théorique selon laquelle le système capitaliste doit nécessairement s'effondrer en raison de ses contradictions internes n'implique pas du tout que l’effondrement réel est un processus automatique, indépendant des hommes. » (28)

Les limites du marxisme de Pannekoek peuvent être vues quand, après avoir éliminé toute ‘utilité pratique’ des théories de la crise, il continue de proposer une solution positive au problème du lien entre sciences économiques et politique : entre les moments objectifs et subjectifs. À partir de la prémisse selon laquelle « les sciences économiques marxistes ne peuvent pas être saisies sans une compréhension de la façon de penser historique et matérialiste », il cherche immédiatement à résoudre, dans une unité indifférenciée, l'objectif et le subjectif, l’être et la conscience, le rapport économique et politique : « L'économie, comme totalité des hommes qui travaillent et le font pour leurs besoins fondamentaux, et le politique (au sens large) comme totalité des hommes qui travaillent et luttent comme classe pour leurs besoins fondamentaux, constituent une sphère simple se développant selon des lois précises. » (29) Ce que nous avons ici est, d'une part, une unité indifférenciée, et de l'autre, un dualisme abstrait de deux champs qui, dans les termes ainsi définis, restent absolument non médiatisés. Si des sciences économiques peuvent être réduites simplement au travail et à une activité instrumentale, et le politique à une seule activité autonome et volontaire, leur unité ne peut être rien d’autre qu'une forme vide ou un postulat moral. À l'unité proclamée de la théorie et de la pratique nous pouvons alors comparer, chez Pannekoek, le couple d’opposés, ou la co-présence polaire hypostasiée, économisme et volontarisme. Mais, et ce qui est le plus important, cette incongruité n'est ni le résultat d’une erreur personnelle ni d’une limitation exclusivement historique d'une discussion des années trente (30). En fait, le même type de critique de la théorie du crash et le même type d'appel à la subjectivité peuvent se retrouver chez les théoriciens réformistes de la social-démocratie tels Hilferding et Braunthal. Avant même la renaissance de Marx, caractérisée par les travaux du jeunes Lukács et de Korsch et destinée à assumer en majeure part la publication des écrits philosophiques du jeune Marx, les théoriciens austro-marxistes avaient inauguré dans le marxisme européen cette ‘saison de la subjectivité’, relecture active du travail de Marx filtrée à l'aide de thèmes néo-kantiens (31).

Bien que cela ait représenté un changement d'accent de la discussion théorique et politique dans le mouvement ouvrier, à la fois chez les austro-marxistes néo-kantiens et dans la majorité du Linkskommunismus, cet appel à la subjectivité a eu pour conséquence une restriction épistémologique au champ défini chez Marx comme relations sociales de production. L'analyse sociologique et empirique du ‘réel’ est lancée pour contrer l’accusation du facteur subjectif (éthique et universel). Ainsi, au lieu de caractériser les lois tendancielles du mode de production, l'analyse économique finit en exercice de microsociologie. À la réduction empirique d'abstractions catégoriques qui prend de la réalité ses moments structurants, correspond la résolution désobjectivée du moment politique dans un moment moral et transcendantal. La même scission apparaît également dans la définition de la classe: celle-ci est scindée en un moment ‘matériel’ dans la production (la force de travail), et un moment ‘spirituel’ qui, par son universalité, dépasse les niveaux empiriques des conditions matérielles et productives de la classe (la ‘volonté’ humaine universelle du prolétariat, la ‘conscience de classe’ en tant que réassemblage des membres disséqués de l'essence humaine). Ainsi, la genèse de la conscience de classe n’est pas expliquée en termes de processus de production et de reproduction, et de l'objectivité des relations sociales, mais est présupposée en raison d'une autonomie irréductible qui, à un certain point de développement, fait le saut qualitatif qui casse l'uniformité quantitative du monde empirique.

Dans la polémique au sujet du livre de Grossman, nous sommes confrontés à un contraste important entre deux perspectives théoriques. D'un côté, la perspective de Pannekoek, qui représente le processus d'atteindre l'autonomie par la volonté depuis des conditions économiques et empiriques selon le schéma dualiste indiqué (et résolu par l’affirmation d'une unité indifférenciée des deux moments). L'autre côté, représenté par Mattick, voit la genèse de la conscience de classe (et ainsi le passage de la ‘classe en soi’ en ‘classe pour soi') comme le résultat d'un processus objectif, dont les lois du mouvement ne sont jamais résolues ni reflétées dans un mouvement de conscience abstraite ou dans une unité abstraite de conscience et de conditions objectives, mais dans le contexte articulé et différencié des relations de production. C’est seulement dans cette dynamique que la lutte des classes peut être expliquée puisqu'elle n'est rien d’autre que l'effet des contradictions inhérentes à ces relations productives.

6.
Dans une lettre à Mattick du 21 juin 1931, Grossmann a lui-même clarifié ce point controversé dans sa polémique contre les austro-marxistes. « Évidemment », écrit-il, « je suis loin de soutenir que le capitalisme est destiné à s'effondrer par lui-même ou ‘automatiquement’, comme Hilferding et d’autres socialistes (Braunthal) le clament en contestant mon livre. Il ne peut être démoli que par la lutte des classes, par la classe ouvrière. Mais j'ai voulu montrer que la lutte des classes seule n'est pas suffisante. La volonté de démolir n'est pas assez. Dans les phases initiales du développement capitaliste, une telle volonté ne peut pas même surgir… Évidemment, en tant que marxiste dialectique, je sais que les deux côtés du processus, de l'objectif et du subjectif, sont réciproquement influencés. Dans la lutte de classe ces facteurs fusionnent. On ne peut pas ‘attendre’ jusqu'à ce que d’abord les conditions ‘objectives’ soient là et permettent seulement alors à celles ‘subjectives’ d’opérer. Ce serait une conception insatisfaisante et mécanique qui m’est étrangère. Mais aux fins de l'analyse, je dois utiliser le procédé abstrait d'isoler des éléments particuliers afin de montrer les fonctions essentielles de chaque élément. Lénine parle souvent de la situation révolutionnaire qui doit être objectivement donnée comme présupposition pour l'intervention active et victorieuse du prolétariat. Ma théorie de l'effondrement ne vise pas l'exclusion de cette intervention active, mais veut plutôt montrer quand et dans quelles conditions une telle situation révolutionnaire objectivement donnée peut surgir et surgit. » (32)
Ici, Grossmann jette les fondements pour un lien possible entre la critique de l'économie politique et la théorie de la révolution. Un moment fondamental et irréductible de ce raccordement devrait être la représentation dialectique. Comme Roman Rosdolsky le montre dans son travail sur la genèse du Capital, la distinction entre la ‘méthode de recherche’ et la ‘méthode de présentation’ dans la critique de l'économie politique - une distinction à la base de l’autre distinction, tout aussi décisive, entre les niveaux génétiques et morphologiques, moments historique et logique (33) - n'a pas une signification purement épistémologique, mais également une pertinence politique et révolutionnaire (34). Si le choix d'un critère abstrait d'exposition n'est pas arbitraire (ni le résultat de considérations purement méthodologiques), mais se trouve lié à la nécessité de représenter conceptuellement le processus de l’abstraction réelle ; et si l'exposition dialectique du Capital décrit le développement de normes catégoriques qui, dans leur structure logique, expriment la domination réelle de l’abstraction en société capitaliste, alors la critique de l'économie politique est, à travers la représentation dialectique, une pénétration et en même temps une critique d'une totalité sans-sujet régit par la domination de l'abstrait (travail abstrait sous forme de marchandise). Ainsi, la critique de l'économie politique est, d'une part, une pénétration de l'objectivité catégorique comme ‘mode d'être’ d'une totalité spécifique d’un présent historiquement déterminé et sous ses ‘formes de pensée’ réifiées (35), tandis que d'autre part, c'est une critique immanente de cette ‘objectivité’ puisque c'est l'expression théorique d'une négativité réelle et un décalage au processus alternant logique et historique trouvant sa genèse dans le cadre du travail abstrait (36). C'est en même temps une critique de ‘la conscience’ et une théorie critique de la révolution.

Dans la mesure où elles reconstruisent les composants fondamentaux de la recherche du Marx mature (la théorie de la valeur et de l'argent, la relation essence - phénomène, temps logique - temps historique, valeur d’usage - valeur d’échange), des études récentes sur la genèse de la structure du Capital et sur le statut épistémologique de la théorie marxiste offrent la possibilité d'extraire, à partir de la critique même de l'économie politique, les catégories fondamentales de la théorie politique, de la théorie des classes et de la théorie de l'Etat. Dans son double caractère de théorie de l’abstraction réelle et de critique des formes de conscience réifiées (comprise, non pas subjectivement, mais en tant que ‘modes d'être’ effectifs des individus et des classes dans la totalité historiquement spécifique de la société capitaliste), la critique de l'économie politique constitue le point de départ obligatoire pour une fondation scientifique de la conscience de classe ou pour ce qui aujourd'hui s'appelle « le problème de la constitution » (37).

Remettre ce complexe de problèmes (et de tâches) en discussion théorique et politique est lié à notre besoin historique urgent d’une compréhension adéquate de l’élaboration théorique et historique de la question de la méthode dans le marxisme et le mouvement ouvrier. Cela est nécessaire pour localiser ces moments et ces efforts épistémologiques qui contiennent peut-être l’élaboration de la question de la constitution (et du lien entre critique de l’économie politique et théorie révolutionnaire à sa base), ou les présuppositions pour un traitement matérialiste du problème.

Des débuts importants dans cette direction peuvent être tracés jusque récemment, mais ils négligent les travaux de Henryk Grossman et Paul Mattick. Paradoxalement, c'est précisément le fait que leurs ‘modèles’ économiques semblent ‘fermés’ et unitaires (parce que, à la différence des théories ‘néo-marxistes’ du développement capitaliste, ils ne présentent aucune division entre la production et les marchés) qui offre la possibilité de baser un niveau spécifique et non-générique (éthique et subjectiviste) du politique sur eux - en dépit de leurs limites théoriques et de leur conditionnement historique (38). Le réexamen catégorique du système capitaliste, en tant que tout contradictoire défini par le processus global de la reproduction sociale et exprimé au niveau historique et structurel comme tendance à la crise, nous amène de nouveau au thème très courant de l'Etat et de sa fonction dans le mécanisme de l'évaluation et de la socialisation du travail. Dans la mesure où c'est une révélation, et ainsi une anticipation plutôt qu'un ‘reflet’ des facteurs structurels essentiels du processus historique réel de la société capitaliste, la description catégorique abstraite n'est pas autosuffisante mais renvoie à la dimension de la lutte de classe.

7.
Pannekoek aurait pu accuser Grossmann d’être lié à une conception positiviste et bourgeoise ‘de la nécessité sociale’ puisqu'il omet l'aspect critique de l'exposition de Grossman. Il prend le travail de Grossman pour un modèle abstrait, empirique et descriptif, et il fini par le traiter de manuel d'économie politique (39). De la même manière qu’on a pu accuser Marx d'économisme pour avoir décrit, dans les quatre volumes du Capital, le développement de la société bourgeoise comme développement des formes catégoriques transformées par les sciences économiques. Ce type d'objection ne tient pas compte de l'avertissement méthodologique préliminaire implicite dans le sous-titre « critique de l'économie politique ». En même temps, ce type d'objection exclut la possibilité de comprendre sa signification politique profonde (et la saisit comme une plate instrumentalité). Ainsi, la critique de Pannekoek semble provenir de son échec à saisir la question principale du mode de présentation de la critique de l'économie politique. « On aperçoit ici », écrit Marx dans le Capital, « sur le plan purement économique, c'est-à-dire du point de vue du bourgeois, dans le cadre de la raison capitaliste, du point de vue de la production capitaliste elle-même, les limites de celle-ci, sa relativité; on voit qu'elle n'est pas un système de production absolu, mais un simple mode historique de production correspondant à une certaine époque de développement restreint des conditions matérielles de production. » (Le Capital, Livre 3, Sec. 3, ch. 15, §3, ed. Nouvelle frontière, trad. Cohen-Solal & Badia (1976), p. 252) (40).

En comprenant la ‘théorie du crash’ comme autocritique du système capitaliste au niveau ‘de sa description abstraite’ (et ainsi en retour à concevoir son caractère historique transitoire de mode de production basé sur l’échange marchand), Grossmann évite l'erreur habituellement commise par beaucoup d'économistes ‘marxistes’ : séparer la théorie de la valeur - la pierre angulaire de la critique de l'économie politique - de la conception matérialiste de l'histoire. Le développement du matérialisme historique en science coïncide avec la compréhension de la nature transitoire de la société bourgeoise. Sismondi ‘a prévu’ ceci au niveau d'une philosophie de l'histoire, dans la ‘forme germinale’ (Zellenform) du mode de production, dans la forme de production de marchandises, dans la forme valeur des marchandises, et dans la valeur prenant la forme de capital (41). La méthode ‘d'isolement’ de Grossmann représente l'unité contradictoire de la valeur d'usage et de la valeur d'échange seulement sous son aspect économique, ainsi comme problème de composition organique du capital et, en conclusion, comme tendance économique vers la crise (baisse tendancielle du taux de profit) - un résultat de la contradiction inhérente au mécanisme même de l'accumulation. Dans son caractère ‘naturel’, le passé historique de la formation sociale capitaliste apparaît ainsi comme une tendance au coeur économique de la base matérielle, comme un lien ‘naturel’ à la crise qui mène à l’effondrement. Grossmann déduit la tendance sociale par laquelle cette tendance économique est réalisée : la contradiction entre les forces productives et les relations de production ; depuis cette ‘auto-description’ critique. Celle-ci se base sur le moment historique matérialiste de l'auto-fondation de l'économie politique, indépendant du décalage de compréhension au niveau de la philosophie de l'histoire et de l'auto-interprétation dialectique et catégorique du caractère historiquement déterminé et transitoire de la société bourgeoise.

Dans la mesure où il définit le caractère contradictoire essentiel du mode de production capitaliste au niveau social général, cette contradiction entre les forces et les relations productives de la production ne peut ni être reléguée à la phase capitaliste concurrentielle - comme Panzieri et d'autres théoriciens de la ‘nouvelle’ gauche le font -, ni réduite à une objectivation métaphorique du conflit capital-travail - que de nombreux auteurs du Linkskommunismus ont soutenu -. Dans le système capitaliste, il est impossible ni de supprimer le caractère ‘naturel’ du processus ni de le contrôler par la planification, parce qu'il est impossible de sortir de la ‘préhistoire’ tout en restant dans les limites de la production de marchandises. Et, si le moment autonome de la représentation n'est pas simplement une abstraction empirique mais exprime le processus réel par lequel la domination de l'abstrait devient autonome dans la société bourgeoise, alors la constitution du prolétariat en classe ‘pour elle-même’ ne peut pas être donnée dés l'origine dans les ‘relations de la production’ comme effet d'une scission manichéenne entre capital et ‘autonomie des ouvriers’. Cette constitution est, alors, plutôt le résultat d'un long processus historique d'émancipation de la domination réelle du travail abstrait. En termes philosophiques : le processus par lequel le prolétariat devient sujet est le résultat d'un processus sans sujet. Ainsi, ce processus a produit un présent historique caractérisé et spécifié par la participation croissante des masses (protagonismes). Mais sans le caractère ‘naturel’ du capitalisme cette participation serait une catégorie purement idéaliste, c’est-à-dire pratiquement inconcevable dans son passé (sa genèse) aussi bien que dans son présent (sa réalisation). La socialisation despotique, dans son unité contradictoire, accomplit, plutôt que supprime, la contradiction historique fondamentale entre les forces productives et les relations de production (qui n'est pas limitée à la phase concurrentielle mais est inhérente à la structure dichotomique de la ‘forme germinale’ du système : les marchandises). L'intervention de l'Etat dans les fonctions d'économie sous forme de ‘plan’, émerge seulement dans l'idéologie technocratique du capitalisme tardif. En réalité, puisque c'est elle-même une contre-tendance, cette intervention médiatise simplement d'autres contre-tendances à la chute tendancielle du taux de profit. Le caractère formel d'unification de la socialisation despotique amène à idéologiser, à travers la catégorie du ‘plan’, la fonction réelle de l'Etat comme régulateur du processus global de reproduction. Ainsi, il empêche une compréhension de l'unité et de la contradiction des forces productives et des relations de production dans la nouvelle configuration que ce processus assoit dans le capitalisme organisé moderne.

8.
Paradoxalement, le point faible de l'argument de Panzieri (qui, indépendamment de différences historiques évidentes, s'avère être de façon saisissante semblable à celui de Korsch) est lié à sa contribution politique la plus vitale : l'appel pour un renouvellement anti-dogmatique du discours marxiste basé sur la traduction des catégories concernant la critique de l'économie politique dans ceux de la théorie révolutionnaire. Bien qu'il parte du lien marxien entre théorie du développement capitaliste et théorie de la révolution sociale, que Korsch a violemment critiqué (42), Panzieri se trouve en compagnie théorique de Korsch en mésinterprétant la signification et la fonction de la représentation. Si chez Korsch la représentation catégorique est réduite à une simple reflet et la théorie de la crise à une allégorie objectivant les conflits de classe réels, chez Panzieri le développement de la présentation du premier au troisième volume du Capital est directement associé au développement historique réel du capital de la phase concurrentielle à celle monopolistique. Afin de valider sa lecture des trois volumes du Capital comme description « du processus historique de la cohésion croissante du système » (43) qui mènerait, au delà des propres attentes de Marx, à la réalisation complète de la loi de la valeur comme ‘loi du plan’, Panzieri cite un passage important du troisième volume : « En exposant ainsi la réification des rapports de production et comment ils deviennent autonomes vis-à-vis des agents de la production, nous ne montrons pas dans le détail comment les interférences du marché mondial, ses conjonctures, le mouvement des prix de marché, les périodes du crédit, les cycles de l'industrie et du commerce, les alternances de prospérité et de crise apparaissent à ces agents comme des lois naturelles toutes-puissantes, expression d'une domination fatale, et qui se manifestent à eux sous l'aspect d'une nécessité aveugle. Nous ne le montrerons pas parce que le mouvement réel de la concurrence se situe en dehors de notre plan et que nous n'avons à étudier ici que l'organisation interne du mode capitaliste de production, en quelque sorte dans sa moyenne idéale. » (Le Capital, Livre 3, Sec. 7, ch. 48, ed. Nouvelle frontière, trad. Cohen-Solal & Badia (1976), p. 751) (44).

Mais la signification de ce passage va précisément dans la direction opposée à celle de Panzieri : ici, il ne s’agit pas - même ‘abstraitement’ - de la reproduction des phases d'un mouvement réel historique, mais en s’abstrayant de lui, comme complexe de phénomènes empiriques, afin de décrire le mode de production capitaliste dans ses moments essentiels. Le fait que l'objectivation du capital dans la formule trinitaire « apparaît… seulement au plus haut niveau du développement capitaliste caractérisé par le capital producteur d’intérêts » (45) ne signifie pas que la formule trinitaire reflète ou capture la complexité historique réelle de ce niveau de développement. Et même plus, dans le cadre général de la représentation dialectique marxiste, la formule trinitaire représente la synthèse des formes « de l’apparence nécessaire déduites de la totalité abstraite du concept de capital » (46). La relation obtenue entre l'essence et le phénomène, entre la notion générale du capital et « les capitaux donnés indépendants » - en concurrence - ne se rapporte pas à l'historique et au génétique, mais au niveau logique et cognitif (47). Si, d'une part, la structure catégorique ne peut pas être exhumée comme le reflet du mouvement réel, d'autre part, la domination logique et structurelle d'une forme du processus définit, mais ne résout pas ou ne supprime pas, la variété et la complexité d'une phase historique. La fonction politique de la méthode de présentation ne se superpose pas mécaniquement à la méthode de recherche, mais en fournit la base et l'établit. La dimension des tactiques politiques a une signification et sa place seulement dans cette différence, de la même manière que, ‘au niveau cognitif’, la science a une signification et une place dans le hiatus existant entre le phénomène et l'essence : « Chaque science serait superflue si l'essence des choses et leur forme phénoménale coïncidaient. » (48)

9.
En tirant quelques conclusions provisoires, il serait approprié de traiter brièvement le statut de la théorie de la crise par rapport au thème de la ‘constitution’. Les théories de Grossman et de Mattick, dont nous avons souligné l'importance, ne sont pas sans défauts et déformations idéologiques résultant des circonstances historiques dans lesquelles elles se sont développées. Ainsi, chez Grossman, en dépit d’avertissements théoriques répétés, la genèse de la conscience prolétaire de classe est directement et exclusivement liée aux périodes de crise. De même, Mattick sépare brutalement les périodes révolutionnaires définies par des crises économiques des périodes non-révolutionnaires définies par l’expansion productive et la prédominance subséquente des lignes réformistes dans le mouvement ouvrier (49). Ces affirmations courent assurément le risque d'une réduction mécanique et objectiviste du problème de la constitution. Cependant, cet enchaînement direct de la genèse de la conscience de classe aux périodes de crise ne peut pas être considéré comme particulier et se limité à Grossmann et Mattick en tant que théoriciens de l'effondrement. La même interdépendance ‘catastrophiste’ se trouve chez Lukács, qui fut le premier à poser le problème de la constitution à la lumière du Capital : « Le prolétariat est alors en même temps le produit de la crise permanente du capitalisme et l'instrument de ces tendances conduisant le capitalisme vers la crise… En reconnaissant sa situation il agit. En combattant le capitalisme, il découvre sa propre mission dans la société. Mais la conscience de classe du prolétariat, la vérité du processus ‘comme sujet’ est lui-même loin d’être stable et constant ; il n'avance pas selon des lois mécaniques. C'est la conscience du processus dialectique lui-même : c'est de même un concept dialectique. La face active et pratique de la conscience de classe, sa véritable essence, ne peut devenir évidente que sous sa forme authentique lorsque le processus historique exige d'elle de façon impérieuse d'entrer en vigueur, c’est-à-dire, quand une crise aiguë de l'économie la conduit à l'action. » (50)

Ainsi, même dans leurs points faibles, les travaux de Grossmann et Mattick se situent au niveau le plus avancé de la discussion des années 20 et 30. Bien que Mattick ait seulement posé le problème de l'Etat dans son actualité pour l'organisation capitaliste avec la soi-disant économie mixte, sa richesse peut être mesuré ex negativo en la comparant à certains essais de Korsch sur l'Etat écrits pendant son exil américain et publié dans Living Marxism (édité par Mattick lui-même) (51). Ici Korsch présente quelques idées sur l'Etat en développant et élaborant des idées de certains de ses autres travaux. L'importance de ces articles se situe dans le fait qu'ils démontrent l'importance primordiale du niveau de la représentation sur le thème de l'Etat. Dans son « Le marxisme et la tâche actuelle de la lutte de classe prolétaire » (52), Korsch opposes le Marx ‘théoricien du prolétariat’ au Marx ‘publiciste radical-bourgeois’ (se référant aux contributions de Marx dans la Neue Rheinische Zeitung et au New York Daily Tribune) et retraces ce dualisme dans le modèle Jacobin de la révolution adopté par les fondateurs du socialisme scientifique. Korsch peut mettre en avant ce schème parce qu'il hypostasie au niveau d'une théorie complète et permanente les idées sur l'Etat exprimées par Marx et Engels dans le Vormärz, sans voir la possibilité de reconsidérer le problème sur la base de leur critique postérieure de l'économie politique. Après avoir établi une relation d'inversion simple entre la société civile et l'Etat, avec une polarisation explicitement anti-Etat (53), Korsch s’enfonce quand il considère la contradiction originelle du marxisme : puisque, comme théorie, le marxisme est le reflet du processus réel, il ne peut pas également être une théorie de la révolution prolétaire et communiste (puisque celle-ci ne s'est pas encore produite). Ainsi, jusqu'ici le marxisme a existé comme réflexion d'une autre révolution, de la révolution capitaliste et bourgeoise. Incapable de saisir la fonction pratique et politique du mode dialectique d'exposition distinct de la ‘méthode de recherche’, Korsch pose en principe une relation de ‘reflet’ ou simple ‘correspondance’ entre le niveau des abstractions catégoriques et le niveau des faits empiriques.

En découle la simplicité essentielle avec laquelle il voit que la forme historique spécifique de l’abstraction réelle est représentée par l'Etat. Ce dernier n'est pas considéré à la lumière de la structure globale de l'abstrait dans la conception du Marx mûr. Mais en termes d’opposition immédiate entre l'Etat et la société civile, mise en parallèle avec celle entre la spéculation et la réalité (54). Ainsi, dans sa tentative de diluer diachroniquement les catégories dialectiques du marxisme afin de les réadapter pragmatiquement aux besoins « d'une théorie pratique de la révolution prolétaire », Korsch aplatit les problèmes dialectiques de la constitution historique (qui marque les phases indirectes du passage des luttes d'usine à la lutte sociale globale ; des luttes économiques à celles politiques), et les transforme en problèmes positivistes de spécifications empiriques. La lutte de classe est ainsi simplifiée dans une série d'actions empiriquement fondées sans règles dans différents lieux spatiaux-temporels, la multiplicité de celles-ci n'est jamais lié au contexte morphologique de la crise : le moment unifiant du présent historique.

L’impuissance tragique résultant de la pensée de Korsch expose, alors, comment la séparation de la théorie de la révolution sociale - la théorie des classes et de l'Etat - de la critique de l'économie politique, et de sa théorie subséquente de la crise, produit paradoxalement une perte de spécificité précisément dans cette dimension politique qui initialement devait être privilégiée (55). Ce qui est mis hors considération est principalement la fonction de l'Etat dans la conception mûre de Marx : c'est un problème que cette théorie doit finalement traiter. L'Etat émerge de la représentation du processus global de la reproduction sociale comme expression suprême de la réalité de l'abstraction et de sa domination complexe effective sur la société. Comme dernière crête du processus logique et historique de la socialisation du capital, et ainsi de l’universalisation réelle de la domination de l'abstrait, l'Etat émerge comme le fond de la critique de l'économie politique ; une instance de réglementation et, en même temps, une expression généralisée de la crise.


Notes :
(1) R. Panzieri, « Plusvalore e Pianificazione. Appunti de Lettura del Capitale », Quaderna Rossi 4 (1964), P. 287 maintenant réimprimé dans une anthologie des écrits de Panzieri, La Ripresa del Marxismo-Leninismo in Italia, éditée par D. Lanyard (Milan. 1972). Pp. 329ff.
(2) Ibid., Pp. 286-287n.
(3) Ibid., P. 284.
(4) Ceci se voit dans l'autre travail important de Panzieri, « Sull’uso Capitalistico della macchine nel Neo-capitalismo » dans La Ripresa del Marxismo-Leninismo in Italia, op.cit., Pp. 148ff.
(5) R. Panzieri, « Plusvalore e Pianificazione », op.cit., P. 270. Cette révision plutôt substantielle du marxisme n'est pas une simple correction historique (c’est-à-dire un ajustement de la théorie de Marx aux termes du développement capitaliste d'après-guerre). Elle met en jeu les méthodes fondamentales d'exposition dialectique (Darstellung) de la critique de l'économie politique. Cette exposition est ‘dialectique’ parce qu'elle exprime le mouvement de la négativité immanente au concept général de capital et à la structure des marchandises comme ‘forme germinale’ de la société capitaliste. Ainsi, la qualité dialectique de cette ‘méthode d'exposition’ consiste en sa compréhension du mouvement des catégories en tant que mouvement auto-contradictoire du capital, comme autocritique du système en termes d'objectivité catégorique, le point de vue ‘bourgeois’. Cf. Capital, vol. III (New York 1967), P. 259. Cette autocritique se rapporte au caractère historique, et donc transitoire, du mode de production basé sur l’échange de marchandises. Pour Marx, « tout d'abord, il y a une limite, aucunement inhérente à la production en général, mais à la production fondée sur le capital. » Cf. K. Marx Grundrisse (Middlesex, 1973), P. 415. L'horizon de cette limite, représentée par le capital lui-même, et du mouvement auto-contradictoire du capital est montré par Marx à travers la dialectique de la limite (Grenze) et de l'obstacle (Schranke). « Pour commencer : le capital force les ouvriers au delà du travail nécessaire au travail en surplus. C’est seulement de cette façon qu’il se réalise, et crée la plus-value. Mais d'autre part, il présuppose le travail nécessaire seulement jusqu'au degré et pour autant qu'il est travail en surplus, et qu’il est réalisable comme travail en surplus. Il pose en principe le travail en surplus, et ainsi, le travail nécessaire, et le travail en surplus comme une limite (Grenze) du travail objectivé (vergegenstandlichte Arbeit), de la valeur comme telle. Quand il ne peut pas poser en principe la valeur il ne peut pas plus poser le travail nécessaire ; et étant donné son fondement, il ne peut pas en être autrement. Il limite donc le travail et la création de la valeur - par un ‘artificial check’, comme l’anglais l'exprime - et il fait ainsi sur les mêmes fondements jusqu'au même degré qu'il pose en principe le travail en surplus et la plus-value. Par sa nature, donc, il pose en principe une barrière (Schranke) au travail et à la création de valeur, en contradiction de sa tendance à les augmenter infiniment. Et puisqu’il pose à la fois une barrière spécifique à lui-même, et d'autre part passe également au-dessus et au delà de chaque barrière, c'est la contradiction vivante. » « Puisque la valeur forme la base du capital », continue Marx dans la note au pied de la page, « et puisqu'elle n’existe donc nécessairement que par un échange pour une contre-valeur, elle se repousse ainsi nécessairement elle-même d’elle-même. Un capital universel (Universalkapital), un capital sans capital étranger : se confrontant, qui échange - et du point de vue actuel, rien ne se confronte à lui à part les travailleurs salariés ou lui-même - est alors une non-chose. L'exclusion réciproque des capitaux est déjà contenue dans le capital [emphase ajoutée -G.M.] comme valeur d'échange réalisée » (Ibid., P. 421).
Il est évident que la signification dialectique profonde (non réductible à une allégorie ou à une métaphore) de cette ‘exposition’ s'effondrerait si la limite au développement du capital n'était pas fournie par le ‘capital lui-même’. L'effondrement de la dialectique de la limite-obstacle présenterait des difficultés pour une analyse du mouvement du capital, et ainsi pour la possibilité théorique de critiquer l'économie politique.
(6) Cet argument a été développé par Dario Lanyard en son introduction à R. Panzieri, La Ripresa del Marxismo-Leninismo in Italia, op.cit., Pp. 72-73.
(7) Voir K. Korsch. « Ueber einige grundsatzliche Voraussetzungen für eine materialistische Diskussion der Krisentheorie," in Proletarier Zeitschrift für Theorie und Praxis des Ratekommunismus 1 (1933) ; republié dans Korsch-Mattick-Pannekoek Zusammenbruchtstheorie des Kapitalismus oder revolutionares Subjekt, avec une préface de Paul Mattick (Berlin-Ouest, 1973). p. 92. Pour une discussion sur la théorie des crises au cours du débat sur Bernstein, voir Lucio Colletti, « Bernstein and the Marxism of the Second International, » dans From Rousseau to Lenin (Londres. 1972). Pp. 45-108. Pour le fond historique et politique de la discussion voir la dissertation de K. Mandelbaum, Die Erorterungen innerhalb der deutschen Sozialdemokratie über des Problem des Imperialismus (Frankfurt, 1926), Pp. 32-42.
(8) Pour Korsch, on pourrait dire que « le développement historique entier des théories socialistes de la crise, depuis Fourier et Sismondi jusqu’aux diverses phases chronologiques de la théorie de Marx et Engels, la phase marxiste et celle des épigones, et jusqu'à Steinberg et Grossmann, Lederer et Naphtali, peut être vu comme le simple reflet passif des développements économiques objectifs qui les ont précédés. Dans la même perspective et au delà des confins de la théorie de la crise, on pourrait également voir toutes les luttes majeures qui ont eu lieu dans le mouvement socialiste pendant les quarante dernières années, comme de simples phénomènes dérivés et des reflets des crises qui les ont immédiatement précédé dans le cycle de la crise capitaliste » (op.cit., P. 93). Clairement, la critique de Korsch est plus complexe et articulée (d'autant plus qu'il n'est pas piégé par l'illusion de pouvoir trouver une version révolutionnaire de la théorie de la crise) mais elle n'a aucune différence essentielle avec l’article anonyme dans le même journal : « Die Grundlagen amer revolutionären Krisentheorie », Proletarier Zeitschrift..., 1(1933) ; maintenant dans Korsch, Mattick-Pannekoek, op.cit., Pp. 71ff.
(9) Korsch, op.cit., P. 96.
(10) Ibid., p, 97.
(11) Ibid., Pp. 97-98.
(12) Cette référence positive à Lénine est plutôt étonnante en ce que vers la fin des années 20 il avait déjà rompu avec le léninisme et, dans l’Anti-kritik en 1930, il déclare même que son adhésion au concept léniniste exprimé dans Marxisme et philosophie était le résultat d'un malentendu. Voir « The Present State of the Problem of Marxism and Philosophy », dans Marxisme et philosophie (Londres, 970), Pp. 98-144. Si l'utilisation de la théorie léniniste (ou du moins de la référence à Lénine) a survécu au Selbstverstandigung théorique et politique de la fin des années 1920, alors il ne peut pas vraiment être expliqué par la catégorie subjectiviste du ‘malentendu’. Comme d'habitude, la solution à ce problème chez Korsch exige une analyse plus profonde et plus objective. Cf. certaines des discussions du Linkskommunismus et Linkssozialismus entre les deux guerres, traitées par H.M. Bock: Sundikalismus tend Linkskommunismus von 1918-1923 (Meisenheim am Glan, 1969); H. Drechsler: Die sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands (Meisenheim am Clan, 1965); K.H. Tjaden: Struktur und Funktion der KPD-Opposition (Meisenheim am Clan, 1964); and 0. Ihlau: Die roten Kampfer (Meisenheim am Clan, 1969).
(13) Il serait utile de tracer les analogies entre Korsch et Max Adler - un auteur à qui une attention insuffisante a été prêtée. Cf. A. Zanardo : Aspetti del Socialismo Neokantiano in Germania negli Anni della Crisi del Marxismo, dans Annali Feltrinelli III (1960), Pp. 153.165, ainsi que le traitement comparatif intéressant des conceptions de conseils de Korsch et d'Adler développés par U. Cerroni dans Teoria Politica e Specialismo (Rome, 1973), Pp. 75-83.
(14) La différence entre la méthode de recherche et la méthode d'exposition est définie par Marx dans le post-scriptum (janvier 1873) à la deuxième édition allemande du Capital : « La méthode de présentation », écrit Marx, « doit différer dans sa forme de celle de l'enquête. Cette dernière doit s'approprier le matériel en détail, pour analyser ses différentes formes de développement, pour tracer leurs interconnexions. C’est seulement après ce travail effectué que le mouvement réel peut être décrit en juste proportion. Si ceci est fait avec succès, si la vie du sujet-matière est idéalement reflétée comme dans un miroir, alors elle peut apparaître comme si nous avions devant nous une construction purement a priori. » Marx, capital, vol. I (Moscou, 1965), P. 19. Pour des problèmes liés à la distinction ci-dessus et à la relation générale entre la logique et l'histoire chez Marx, voir le C. Luporini, « Marx secondo Marx, » dans Dialettica e Materialismo (Rome, 1975), Pp. 215ff.
(15) Cette réduction pragmatique de l'aspect dialectique et morphologique de la critique de l'économie politique est une posture qui relie la ‘gauche théorique’ européenne (souvent à travers Sorel, mais dans des formes et des manières qui doivent toujours être historiquement spécifiées) à Bernstein et au courant révisionniste de la social-démocratie. La référence de Korsch à Sorel devrait historiquement (et théoriquement) être clarifiée en lien avec la révision de Bernstein du thème « de la démocratie industrielle » qui constitue, à côté de la veine anarcho-syndicaliste, l'autre source de la « conception des conseils » de Korsch dérivée de la ‘société Fabian’. Cf. K. Korsch, « Die Fabian Society » dans Die Tat, IV : 8 (novembre 1912). Pp. 422-427 ; « What is socialization ? » dans New German Critique 6 (automne 1975) ; et Arbeitsrecht fur Betriebsrate (Francfort 1969). Pour la formation théorique et politique de Korsch, voir M. Buckmiller, « Marxismus als Realitat. Zur Rekonstruktion der theoretischen und politischen Entwicklung Karl Korschs. » Ueber Karl Korsch, édité par Claudio Pozzoli (Francfort, 1973), en particulier Pp. 19-35.
Pour un traitement complet et péremptoire du mouvement européen des Conseils en relation au Linkskommunismus, cf. M. Cacciari « Sul problema dell'Organizazione Germania 1917-1921 », qui est une introduction à C. Lukacs, Kommunismus 1920-1921 (Padoue 1972). Les mêmes points sont développés par S. Bologna dans sa « Class composition and the theory of the party at the origine of the Worker-Councils movement », Telos 13 (printemps 1972). Pp. 3-27 ; et C. De Masi, «L'Esperienza Conciliare nella Rivoluzione Tedesca », dans I Consigli Operai (Rome, 1972), Pp. 86-118.
(16) Cf. K. Korsch, « Ueber einige grundsatzliche Voraussetzungen... », op.cit., Pp. 97-98. Ici Korsch a probablement à l'esprit le célèbre passage du Capital (finir par l'expropriation des expropriateurs) dans laquelle Marx a lié le processus de concentration et paupérisation avec « la rébellion de la classe ouvrière ». Cf. Capital, vol. I, op.cit., Pp. 763-764 [N.d.T. : Ch. 24 sur l’accumulation primitive].
(17) On pourrait discuter (indépendamment des ‘erreurs’ économiques contenues dans son livre) la complétude de son auto-réflexion méthodologique et les oscillations et incongruités actuelles dans ses diverses formulations de l'accord entre moments économiques et politiques, entre la spontanéité et le politique et la direction révolutionnaire des masses. Dans l'essai cité ci-dessus, Bologna observe que « Rosa elle-même se retrouve prisonnière entre la sociologie de l'organisation et la théorie du parti » (op.cit., P. 17). Ce type ‘d’ambivalence’ peut être réduit au fait que « ce qui était, pour Luxemburg, un problème de composition sociale du parti, était, pour Lénine, un problème de programme, ou de politique de parti. Pour Lénine, la direction révolutionnaire ouvrière devait être atteinte en attachant les militants à ce programme et en les disciplinant à la centralisation. Rosa et Lénine parlent de deux types différents de classe ouvrière: ils ont parlé contre deux types différents de réformisme » (Ibid., P. 21). Plus scolastique et formaliste est l'approche de Cacciari, qui écarte l'argument d’une Luxemburg ‘démocrate-libertaire’ (cf. op.cit., P. 62). Par ailleurs, Cacciari fournit un traitement plutôt insatisfaisant de la Zusammenbruchstheorie, qu'il rend entièrement équivalent avec le modèle de Luxemburg caractérisé par « une tendance constante à la sous-consommation » et par « une contradiction insupportable entre production et marché » (Ibid., P. 63). Mais c'est précisément cette incongruence et ce dualisme (produisant une division de la dimension politique-stratégique) chez Luxemburg qui a été critiqué par le ‘théoricien de l'effondrement’ Henryk Grossman.
(18) Cf. Fritz Steinberg, Der Imperialismus (Berlin. 1926).
(19) L'intégration de Steinberg de la théorie de Luxemburg consiste à individualiser le phénomène de la surpopulation comme une condition constitutionnelle du capitalisme (sans armée de réserve de travail, il ne peut pas y avoir un excédent de travail salarié et donc de plus-value). D'ailleurs, Steinberg maintient que Luxemburg a commis des erreurs importantes, particulièrement dans les conclusions de ses analyses. Il n'accepte pas, par exemple, l’affirmation de Luxemburg de l'impossibilité de la reproduction augmentée dans le capitalisme ‘pur’ et - en accord avec la critique de Bukharin dans Impérialisme et accumulation du capital (New York, 1972), publié conjointement à l’Accumulation du capital de Luxemburg - maintient que cela est également possible dans le capitalisme d'Etat, puisque ce dernier peut détruire une partie de la plus-value (voir Steinberg, op.cit., P. 102).
(20) H. Grossmann, Das Akkumulations- und Zusammenbruchsgesetz des kapitalistischen Systems (Leipzig. 1929), P. 13. Dans ce livre, Grossmann fourni une brillante critique du travail de Steinberg écrit l'année précédente : « Eine neue Theorie uber Imperialismus und soziale Revolution," in Archiv für die Geschichte des Sozialismus und der Arbeiterbewegung, XIII (1928), Pp. 141-92. Steinberg répond avec un pamphlet titré: Eine Umwalzung der Wissenschaft? Kritik des Buches von Henryk Grossmann. Zugleich eine positive Analyse des Imperialismus (Berlin, 1930). Pour une analyse de la sous-consommation dans la perspective de la théorie marxiste de la valeur et, généralement pour tous les aspects spécifiques au problème voir M. Cogoy, « Les théories Néo-marxistes, Marx et l'Accumulation du Capital », dans Les Temps Modernes (septembre-octobre 1972), Pp. 396-427 et F. Hermanin, « Ueber einige Aspekte der Akkumulations- und Krisentheorie bei Grossmann und Mattick," in F. Hernsanin, M. Lauer, A. Schurmann, Drei Beitrage zur Methode und Krisentheorie bei Marx (Giessen, 1973), Pp. 85-111.
(21) Parmi les travaux théoriques et méthodologiques de Grossmann se trouvent: Marx, die klassische Nationalokonomie und das Problem der Dynamik (Frankfurt and Vienna, 1969) ; "Die Aenderung des ursprunglichen Aufbauplans des Marxschen Kapital und ihre Ursachen." dans Archiv die Geschichte des Sozialismus und der Arbeiterbewegung XIV (1929), pp. 305-338 ; "Die Wert-Preistransformation bei Marx und das Krisenproblem." dans Zeitschaft fur Sozialforschung 1(1932). pp. 55-84 ; "Die Goldproduktion in Reproduktionsschema von Marx und Rosa Luxemburg," dans Festschraft für Carl Gunberg zum 70. Geburtstag (Leipzig, 1932), pp.152-184; "The Evolutionist Revolt against Classical Economics," dans The Journal of Political Economy LI (1943), pp. 381-396, et pp. 506-522. Ceux-ci sont maintenant rassemblés dans H. Grossmann, Aufsatze zur Krisentheorie (Frankfurt, 1971). Pour une analyse de la base épistémologique de la théorie de Grossmann, voir mon « Political Economy and Critical Theory », Telos 24 (été 1975), Pp. 56-80.
(22) H. Grossmann. Das Akkumulations und Zusammenbruchsgesetz…, op.cit., P. 608.
(23) Ibid., P. 60.
(24) « Le fait », écrit Grossmann à Paul Mattick dans une lettre du 18 juillet 1937, « que la clique des néo-harmonistes, les Hilferdings et les Bauers, tentent depuis des décennies de distordre systématiquement Marx, ne signifie pas que nous devrions faire de même. Une fois que vous maîtrisez la pensée marxienne de manière consistante jusqu’au bout, comment une crise peut-elle surgir dans le processus de la reproduction simple qui semble être caractérisée partout par un équilibre harmonieux ? C’est seulement alors que vous découvrirez dans les élaborations théoriques de Marx ce dont les ‘philosophes’ n'ont pas même rêvé, même ceux tel que Karl Korsch, ont imaginé avoir saisi une science économique marxienne. » Dans l'annexe à « Marx, die klassische Nationaläkonomie und das Problem der Dynamik, op.cit., Pp. 112-115.
(25) Cf. A. Pannekoek. « Die Zusammenbruchstheorie des Kapitalismus », dans Ratekorrespondenz 1 (1934), maintenant réimprimé dans Korsch-Mattick-Pannekoek: Zusammenbruchstheorie... , op.cit., Pp. 20ff. [N.d.T: La théorie de l’effondrement, disponible à XXXX]
(26) Pannekoek reprend sans critique l'objection à Grossman fait par beaucoup ‘d'économistes professionnels’, c’est-à-dire d’avoir montré l'inévitabilité du crash à travers le schéma d'Otto Bauers. Cf. « Die Akkumulation des Kapitals », Die Neue Zeit XXXI (1912.13), Pp. 831-838, 862-874. L'objection semblerait raisonnable si Grossman avait vraiment voulu fournir une représentation schématique de l'effondrement. Mais Grossman a nié la possibilité d'une telle description. Son but réel était de montrer l'impossibilité du développement harmonieux à partir des prémisses de Bauer. Cf. Das Akkumulation und Zusammenbruchsgesetz, op.cit., Pp. 95ff. La même objection à Grossmann a été mise en avant par Sweezy dans la théorie de développement capitaliste (New York, 1968), Pp. 209-213. Voir à ce sujet également Roman Rosdolsky, Zur Entstehungsgeschichte des Marxschen "Kapital" (Frankfurt and Vienna, 1968).
(27) A. Pannekoek, op.cit., P. 39.
(28) P. Mattick, « Zur Marxschen Akkumulations und Zusammenbruchstheorie », dans Ratekorrespondenz 4 (1934), à présent dans Korsch-Mattick-Pannekoek, op.cit., Pp. 47-48. Les points de Mattick sont significatifs non seulement parce qu'ils vont à l'encontre d'une tendance générale du communisme de gauche (et du socialisme), mais également, et c’est plus important, parce qu'elles dépassent les limites étroites théoriques et politiques, touchant de ce fait sans le savoir une faiblesse politique générale du marxisme européen, apparente dans l'hésitation entre une version spéculative et pragmatique de la relation entre théorie et pratique.
(29) A. Pannekoek, op.cit., P. 39.
(30) Pour réaliser la pertinence de ce problème, on doit examiner seulement la polémique produite par la critique de Habermas autour du concept du ‘travail’ chez Marx. Cf. J. Habermas, Connaissance et intérêts humains, chapitre 1, paragraphe 2. A cet égard, voir également H.J. Krahl, « Produktion und Klassenkampf », dans Konstitution und Klassenkampf (Francfort, 1971), P. 392ff. « Habermas », notes Krahl, « peut jeter un concept restreint de praxis au visage de Marx seulement parce qu'il a un concept restreint de production. Selon Marx, la production inclut tous les éléments de la praxis sociale, c’est-à-dire 'la relation sujet-objet et l'intersubjectivité, le travail et la division du travail. Habermas, au lieu de cela, ramène le concept de la production à une relation sujet-objet non-intersubjective d'activité instrumentale, c’est-à-dire, à un concept instrumental du travail. Le prix payé par Habermas d’une telle réduction du concept de la production est la dématérialisation de l'intersubjectivité qu'il caractérise avec le titre abstrait d'interaction, ou de la dématérialisation de la praxis révolutionnaire » (Ibid., P. 394).
(31) Dans le mouvement ouvrier, le néo-kantisme (et, généralement l'influence de tous ces courants philosophiques caractérisés par la centralité du sujet) n'a pas émergé, comme l'histoire des idées l’exigerait, de nouveaux résultats de la recherche scientifique et épistémologique, démontrant abstraitement le ‘caractère incorrect’ du point de vue évolutionniste et déterministe, il n’a pas émergé non plus, comme le point de vue subjectiviste le soutient, d'une ‘déviation’ ou de la ‘dégénérescence’ révisionniste. Au contraire, au niveau de la conscience théorique, il peut être vu comme un recul à l'arrivée de la phase de monopole du capitalisme qui, en contredisant en réalité la conception positiviste d'un passage évolutionnaire inévitable au socialisme, a précipité l'interprétation catégoriquement objectiviste de la théorie marxiste dans une crise. Dans le travail de Max Adler, on note, beaucoup plus que chez Bernstein ou, pour mentionner un marxiste néo-kantien, chez Colander, la connexion particulière entre la crise de la 2ème Internationale (qui est à la fois une crise d'un cadre scolastique basé sur la légitimité absolue du processus historique, et de la conception objectiviste et économiste de la politique que ce cadre soutient) et la naissance du soi-disant ‘marxisme occidental’. Ce dernier a émergé en même temps qu'une critique de tous les concepts déterministes de l'histoire et des pratiques réformistes, tout en cherchant une reconstitution activiste et révolutionnaire des formes de subjectivité. La tentative de Max Adler de trouver une voie théorique et politique autonome (une sorte de ‘troisième voie’ entre la social-démocratie et le bolchevisme) basée sur une large et complète reconstitution philosophique du marxisme, a eu lieu à ce moment sensible, caractérisé par la guerre, la révolution d'octobre et la crise théorique de 1923. Pour la gamme complète de ces questions sur le socialisme néo-kantien, voir le traitement ouvertement social-démocrate contenu dans N. Lesser, Zwischen Reformismus und Bolschewismus. Der Austromarxismus als Theorie und Praxis (Vienna, Frankfurt and Zurich 1968). Pour Max Adler, cf. Pp. 513-561.
(32) Dans H. Grossmann, Marx, op.cit., P. 88.
(33) Cf. A. Schmidt, Geschichte und Struktur (Munich, 1971), Pp. 41ff, aussi bien que C. Luporini, Marx secondo Marx, op.cit., Pp. 84-112.
(34) En plus du travail déjà mentionné sur la genèse du Capital, cf. la collection d'essais de Rosdolsky récemment éditée sur la théorie et la pratique de la 2ème Internationale, Studien Uber revolutionare Taktik (Berlin-Ouest, 1973). Pour ce qui concerne le problème d'une lecture politique de la Darstellung, cf. H. Reinicke, Ware und Dialektik (Darmstadt-Neuwied, 1974). Ce livre prend et développe plusieurs idées de Krahl.
(35) Sur le rapport entre la forme des marchandises [Warenform] et la forme de pensée [Denkform], cf. les considérations controversées mais stimulantes de A. Sohn-Rethel dans son Warenform und Denkform. Pp. 101ff., et Geistige und korperliche Arbeit, Pp. 24 (tous deux, Francfort 1971). La publication des écrits de Sohn-Rethel, rédigé pendant les années 30 dans le cadre de l'examen interne de la théorie critique, mais ‘découverts’ tout récemment, constitue peut-être l'événement théorique le plus marquant de la dernière décennie en Allemagne de l’Ouest. Cf. H. Reinicke, op.cit., Pp. 103-118, et « Ware und Dialektik-Zur Konstitution des burgerlichen Bewusstseins bei Sohn-Rethel, Politikon 56 (avril-mai 1971), Pp. 22-35.
(36) Cf. B. De Giovanni, Hegel e il Tempo Storico della Societa Borghese (Bari, 1970), pp.173-202.
(37) La théorie marxiste est rigoureusement analysée dans les travaux de R. Rosdolsky, op.cit. ; 0. Morf, Geschichte und Dialektik in der politischen Oekonomie (Francfort et Vienne, 1970) ; et, plus récemment, dans le travail de H. Reichelt, Zur logischen Struktur des Kapitalbegriffs bei Karl Marx (Frankfurt and Vienna, 1970) ; H.-G. Backhaus, "Zur Dialektik der Wertform," dans Beitrage zur marxistischen Erkenntnistheorie, edité par A. Schmidt (Frankfurt. 1970), pp.128-52; et "Matenialen zur Rekonstruktion der Marxschen Werttheorie," dans Gesellschaft. Beitrage zur Marxschen Theorie I (Frankfurt, 1974), Pp. 52-77. Pour ce qui concerne la relation entre la critique de l'économie politique et la théorie de l'histoire, le Darstellung dialectique et le thème de la conscience de classe (Konstitutionsproblematik), les contributions d'A. Schmidt sont appropriées. En plus de Geschichte und Struktur, voir son "Zum Erkenntnisbegriff der Kritik der politischen Oekonomie," dans Kritik der politischen Oekonomie heute 100 Jahre "Kapital" publipé par W. Euchner & A. Schmidt (Frankfurt and Vienna, 1968), pp. 30-43 ; 0. Negt, Soziologische Phantasie und exemplarisches Lernen (Frankfurt, 1971). Mais, surtout, voir le volume, écrit en collaboration avec A. Kluge, tsnd d'Oeffentlichkeit. Erfahrung. Proletarischer Oeffentlichkeit (Francfort Oeffentlichkeit tsnd. Erfahrung. Zur Organisationsanalyse von burgerlicher und proletarischer Oeffentlichkeit (Frankfurt, 1972). Tous ces auteurs développent (souvent avec des polémiques pointues) des thèmes centraux de la théorie critique.
(38) Cf. l’article clairvoyant de N. Badaloni. « II ‘Meccanismo Unico’ nel Tardo Capitalismo », dans Rinascita XXX : 20 (18 mai 1975). Pp. 23-25. Ici Badaloni aborde et clarifie plusieurs points centraux au sujet de ses contributions aux discussions sur le marxisme dans les années 60. Cf. Il Marxismo Italiano degli Anni Sessanta e la Formazione Teorico-Politica delle Nuove Generazioni (Rome, 1972), Pp. 19ff., puis développé dans Per il Comunismo. Questioni di Teoria (Turin, 1972), qui, avec les travaux susmentionnés de Luporini et de De Giovanni, constitue la principale contribution récente aux discussions marxistes italiennes. Pour les conceptions critiques méthodologiques de Mattick, voir la collection récente de ses essais, Kritik der Neomarxisten (Francfort, 1974).
(39) L'auteur anonyme de l'article sur la théorie de la crise dans le Proletarier, ainsi que Korsch, avait accusé Grossmann de ne pas comprendre la méthode de Marx. « Marx », écrit-il, « ne veut pas expliquer la réalité capitaliste par une ‘procédure d'approche’ (Annaherungsverfahren). Sa théorie ne se réduit pas à des moyens de reconstruire la réalité économique dans sa totalité. Elle veut, plutôt, dévoiler l'absurdité des bases économiques du système… et, en outre, donner au prolétariat la chance d'examiner concrètement sa réalité dans la perspective de la transformation révolutionnaire. » Cf. « Die Grundlagen einer revolutionaren Krisentheorie », réimprimé dans Korsch-Mattick-Pannekoek, op.cit. p. 75. Après avoir lu cet article, Grossmann a écrit à Mattick dans une lettre en date du 7 mai 1933. « Pour Marx - assure le critique -, il n'est pas important d'expliquer la réalité capitaliste (comme je l’affirme). Le même critique propose, en outre, de fournir une ‘théorie’ des crises. Mais quelle signification aurait la théorie à moins qu'on propose, non seulement de décrire les données, mais de la comprendre dans ses liens fonctionnels et l'expliquer ainsi ? » Cf. Marx, op.cit., P. 99.
(40) K. Marx, capital, vol. III, op.cit., P. 259. La mésinterprétation méthodologique de Pannekoek est encore plus claire si nous examinons le côté théorique et politique de sa critique. Mettant en cause l’affirmation de Grossmann que l'effondrement n'est ni une alternative ni une contradiction à la lutte de classe (cf. Das Akkumulations und Zusammenbruchsgesetz, op.cit., P. 602), Pannekoek accuse Grossmann d’avoir une conception réductrice de celle-ci, c’est-à-dire, de la voir comme simple lutte pour des augmentations de salaire et pour la réduction du temps de travail (cf. Pannekoek, op.cit., P. 29). En fait, par suite de son argumentation, que Pannekoek ignore, Grossmann ne se réfère pas seulement à la lutte d'usine, mais à la dynamique globale du système capitaliste. Il lie la lutte de classe, dans toute sa complexité, au processus de reproduction et non pas au processus productif simple. « Précisément parce que chez Marx, l'analyse entière du processus de la reproduction mène à la lutte de classe » (Grossmann. op.cit.). Ici Grossmann cite un passage concluant une lettre de Marx à Engels en date du 30 avril 1868, au sujet de la structure des deuxième et troisième volumes du Capital. Après avoir montré le caractère phénoménal du mouvement indépendant « de l'économie, qui fait que les catégories économiques apparaissent comme si elles suivaient un processus objectif, autonome et auto-porteur, Marx conclut que, lorsqu’on rapporte les salaires et profits aux trois classes (propriétaires terriens, capitalistes et ouvriers) qui constituent les sources de revenu, le résultat de la dialectique entière des formes est « la lutte de classe comme sortie en laquelle le mouvement et la dissolution de toute cette saloperie est établi » (Marx et Engels, Selected Correspondence [Moscou, 1955], Pp. 207-208). Dans la mesure où cette conclusion implique la totalité du processus reproducteur, elle élimine toute la conception restreinte (économiste ou syndicaliste) de la lutte de classe. Et Grossman l’emploie afin de démontrer qu’à un niveau élevé d'accumulation de capital, la lutte pour la répartition des revenus « est non seulement une lutte pour l’amélioration des normes de vie des classes en lutte, mais une lutte pour l'existence même du mécanisme capitaliste » (op.cit.).
(41) Grossman a écrit une importante étude sur Sismondi : Sismonde de Sismondi et ses théories économiques (Une nouvelle interprétation de sa pensée) (Varsaviae, 1924). Quelques considérations importantes au sujet de l'économiste suisse peuvent également être trouvées dans l'essai de W. Playfair « The earliest theorist of capitalist development », dans Economic History Review XVIII (1948), Pp. 65-83.
(42) Cf. à cet égard P. Mattick, 'Marxismus und die Unzulanglichkeiten der Arbeiterbewegung’ dans Ueber Karl Korsch, op.cit., P. 195, où le refus de Korsch de lier la théorie de la révolution sociale à celle du développement capitaliste est vivement critiqué.
(43) R. Panzieri, 'Plusvalore e Pianificazione. « op.cit., P. 283.
(44) K. Marx, capital, vol. III, op.cit., P. 851. Italiques ajoutés.
(45) R. Panzieri, op.cit., P. 282.
(46) Cf. H. Reichelt, op.cit., Pp. 245ff.
(47) Cf. A. Schmidt, Geschichte und Struktur, op.cit., Pp. 41ff.
(48) K. Marx, capital, vol. III, op.cit., P. 273. Pour tous ces problèmes, cf. C. Luporini, Marx secondo Marx, op.cit., Pp. 99-101.
(49) Cf. Marx et Keynes, the limits of the mixed economy (Boston, 1969), et « Marxismus und die Unzulanglichkeiten der Arbeiterbewegung“, op.cit., Pp. 192ff. Pour un panorama des positions théoriques et politiques de Mattick considérées dans son ensemble, voir l'anthologie française de son travail édité par EDI, Intégration capitaliste et rupture ouvrière (Paris, 1972).
(50) G. Lukäcs, Histoire et conscience de classe (Cambridge, 1971), P. 40.
(51) Living Marxism, connu initialement sous le nom de International Council Correspondence puis comme New Essays [tous les numéros de ces journaux ont été récemment réimprimés par Greenwood Publishing Company (Westport, conn., 1971)], publiait la théorie politique, économique et sociale de quelques uns des tenants les mieux connus du Linkskommunismus pendant les années 30 et 1941. Sans compter que Mattick et Korsch (tous les deux émigrés aux Etats-Unis), Anton Pannekoek et Otto Ruhle ont également écrit pour ceux-ci et que des articles ont été régulièrement traduits de Ratekorrespondenz Amsterdam. Pour une excellente présentation de ceci, voir Gabriella M. Bonacchi, « Teoria Marxista e Crisi : I Comunisti de Consigli ‘tra New Deal e Fascismo’ », dans Problemi del Socialismo XVII : 25-26 (1974). [disponible à http://www.fondazionebasso.it/site/it-IT/Menu_Principale/Risorse_online/Problemidelsocialismo/ArchivioPDS/teoriaeprassi.html ]
(52) Dans Living Marxism IV : 4 (août, 1958) ; cf. en particulier Pp. 118-119.
(53) Cf. « Economics and politics in revolutionnary Spain », Living Marxism IV (5 mai 1951) et « Collectivisation in Spain », Ibid., IV (6 avril 1939).
(54) Dans cette perspective, le parallèle établi dans « Marxisme et philosophie » entre l'abolition de la philosophie et l'abolition de l'Etat doit être vu comme un échec théorique et politique lié à une lecture plutôt limitée des premiers travaux philosophiques de Marx. Sur ce point cf. B.D. Giovanni, ‘Marx e lo Statto’, dans Democrazia e Diritto 3 (1973), P. 49.
(55) Le revers du programme critique de Korsch est sa conception dogmatique de la critique de l'économie politique. Celle-ci est considéré conclue une fois pour toutes avec l'analyse de l'essence du mode de production capitaliste développé par Marx dans le Capital : on a seulement besoin de résumer les concepts fondamentaux de temps en temps. La théorie marxiste est constamment redécouverte et mise à jour, mais comme théorie de la lutte de classe. Séparée des analyses structurelles du développement capitaliste et de la réflexion critique conséquente sur l'appareil logique - les catégories marxistes pour rapporter les évolutions de morphologie du mode de production -, la théorie de la révolution finit par hésiter en vain entre les pôles extrêmes du dogmatisme et de l'empirisme. À cet égard, voir Oskar Negt « Theory Empirism and class struggle », dans ce numéro de Telos [n°26, hiver 1975-76]. L'importance et l'originalité de ‘Marx et Keynes’ [de P. Mattick] (particulièrement comparé au modèle de Baran et Sweezy, qui a conditionné la discussion internationale durant de nombreuses années) est liée au contraire, dans le fait qu'il rend un discours théorique et politique unitaire possible fondé sur une analyse économique pertinente liant la production aux marchés, la distribution, la reproduction et l'Etat - tous sur la base de la théorie marxiste de la valeur.


Du numéro 26 de Telos, Hiver 1975-76.
Version anglaise aux archives du communisme de Conseil
s www.kurasje.org


Quelques liens internet vers des textes en rapports avec ces thèmes.

Raniero Panzieri
Son texte (fondamental) sur la planification et la plus-value relative en anglais à http://libcom.org/library/surplus-value-planning-raniero-panzieri
Capitalisme et machinisme (en français) http://multitudes.samizdat.net/Capitalisme-et-machinisme

Des textes (notamment l’Accumulation du capital) de Rosa Luxemburg à http://classiques.uqac.ca/classiques/luxemburg_rosa/luxemburg_rosa.html
d’autres (et notamment un extrait choisi de Réforme ou révolution à propos du crédit et de la crise) à http://www.collectif-smolny.org/mot.php3?id_mot=80

Le texte de 1933 de Karl korsh, discuté ici, en anglais à
http://libcom.org/library/some-fundamental-presuppositions-materialist-discussion-crisis-theory-karl-korsch
Toute une série de lien vers des textes (dont bon nombre en français) de Korsh à http://bataillesocialiste.wordpress.com/biographies/korsch-1886-1961/

Des textes de Paul Mattick.
The permanent crisis, texte, en anglais (et original allemand au même site) en défense de la théorie de Grossman http://www.kurasje.org/arkiv/17400f.htm
Son avant-propos à la réédition du Marx de Grossman en 1969 http://bataillesocialiste.wordpress.com/2008/11/30/henryk-grossmann-theoricien-de-laccumulation-et-de-la-crise-mattick-1969/
Et un ensemble de liens vers des textes à http://bataillesocialiste.wordpress.com/biographies/mattick-1904-1981/

La (critique de la) théorie de l’effondrement d’Anton Pannekoek http://bataillesocialiste.wordpress.com/2008/12/09/la-theorie-de-leffondrement-du-capitalisme-pannekoek-1934/
Des liens vers d’autres textes http://bataillesocialiste.wordpress.com/biographies/pannekoek-1873-1960/

Dans les ressources en ligne de la fondation Basso, les archives de Problemi del socialismo, dont le numéro 2 (1976) est consacré au communisme de conseils (avec l’article de Gabriella Bonnachi cité)
http://www.fondazionebasso.it

On trouve quelques textes en anglais d’Henrik Grossmann à http://www.marxists.org/archive/grossman/index.htm


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